• Conseillé par (Libraire)
    26 février 2016

    Le supplicié de Notre-Dame

    Certains l’avaient surnommé « le nouveau pape du polar français » lors de la sortie de La Madone de Notre-Dame. Avec son nouveau roman "Évangile pour un gueux", Alexis Ragougneau récidive en témoignant d’une efficacité diabolique. Pénétrant les faces secrètes de Notre-Dame, il met en scène l’univers des sans-abri.
    À la lecture d’Évangile pour un gueux, on pourrait croire qu’Alexis Ragougneau connait tout aussi bien le monde des SDF que les clochers de Notre-Dame de Paris. Les personnages de son polar sont des héros ordinaires en abandon de repères, dont la vie a été jalonnée de blessures et d’effroi, qui n’ont d’autres torts que de ne pas rentrer dans le moule que la société leur impose. Le livre bascule immédiatement dans le suspense avec la découverte, lors des fêtes de Pâques, d’un homme atrocement mutilé noyé dans la Seine. L’affaire est confiée aux officiers de Police Landard et Gombrowicz, et à la jolie juge Claire Kauffmann, en charge de l’instruction. Une équipe bien rodée qui avait déjà officié dans l’enquête de La Madone de Notre-Dame. La victime rapidement identifiée est le jeune Mouss, leader du groupe d’une dizaine de sans-abri qui avait envahi la cathédrale à la veille de Noël, prenant en otage le père Kern et le sacristain. Ces trente-six heures d’occupation avaient empêché le bon déroulement des célébrations de la Nativité, avant que les autorités ne fassent intervenir les forces de l’ordre. Les services de police s’étaient ensuite sentis ridiculisés par ce preneur d’otage qui revendiquait un logement pour tous, lors d’une conférence de presse où s’étaient invitées toutes les caméras de France et de Navarre. Certains ont pu vouloir crier vengeance, comme les dignitaires de l’Église qui considèrent comme un blasphème la violation du sanctuaire de Marie. Devant le mutisme des « frères de la rue » face aux interrogatoires des policiers, la juge Kauffmann sollicite l’appui du père Kern, qui s’était révélé un remarquable meneur d’investigation lors de l’affaire de la Madone. Mais pétrifié par la culpabilité, ayant peu ou prou prêté main forte à la BRI lors des évènements de Noël, le prêtre renvoie la juge dans ses bureaux. Néanmoins, pressentant le danger, il cherche à comprendre ce qui a pu provoquer cette succession de cataclysmes. Le curé de Notre-Dame se révèle alors un confesseur discret et efficace pour faire parler les sans-logis.
    Pourtant rempli de doutes quant à sa foi, osera-t-il dévoiler les suspicions qu’il a vis-à-vis de ses pairs ? Quel est ce groupuscule traditionnaliste manipulé, semble-t-il, par un prêtre ? Quelle est la mission présumée sacrée de ces « Cohors Christi » ?
    Alexis Ragougneau nous entraîne dans un roman noir diaboliquement mené, qui suscite l’intérêt jusqu’à la dernière ligne. Car il nous faut attendre la toute fin pour que les clés de l’énigme nous soient enfin révélées.
    Le style est d’une parfaite fluidité, et l’auteur nous amène par petites touches à la rencontre de ce monde des sans-logis.
    Une plongée dans les eaux troubles de notre société… (cf PAGE Hiver 2016)


  • Conseillé par
    7 avril 2016

    policier, SDF

    Je découvre avec ce second titre le trio Kern/Kauffmann/Landard-Gombrowicz, affublé de Kristof – la gargouille -, qui hante les jardins comme les travées de Notre-Dame.

    Un roman policier fort bien écrit qui nous emmène dans la rue avec les SDF au plus près de leurs conditions de survie ; mais aussi dans Notre-Dame de Paris et ses arrières-cours que les protagonistes arpentent sans cesse.

    Dans cet opus, l’auteur se focalise sur les groupes ultra-religieux catholiques et leurs gros bras.

    Mais il nous parle également d’un Christ miséreux qu’un Judas pris d’un délire aurait forcé à vivre son agonie, comme dans le Nouveau Testament.

    L’auteur a tout de même quelques obsessions : trois personnages tombent dans la Seine, volontairement ou non ; ils mangent des pizzas à presque tous les repas.

    Je ne manquerai pas de suivre les autres enquêtes de ce trio, et de lire leur première aventure qui, j’espère sera aussi passionnante.

    L’image que je retiendrai :

    Celle de Mouss caché dans un coin de mur que seul Stavros peut trouver.

    http://alexmotamots.fr/?p=1428


  • Conseillé par
    21 février 2016

    coup de coeur

    Sept mois que j'attends d'avoir un coup de coeur littéraire et le voici, mon petit bijou ! Quand en 2014, j'avais lu La Madone de Notre-Dame du même auteur, je m'étais dit qu'il manquait un petit quelque chose mais que ce premier roman était prometteur. Après avoir tourné la dernière page d'Evangile pour un gueux, j'espère juste qu'il parviendra à renouveler l'exploit. Oubliez qu'il est dans la collection Chemins nocturnes, et donc associé pour beaucoup au polar. Oubliez parce que ce roman, c'est un roman noir, certes mais c'est tout simplement à la fois un bijou dans l'écriture et dans l'utilisation des symboles et des métaphores. Et peu importe que vous n'ayez pas lu La Madone de Notre-Dame, ça ne gâchera pas du tout votre plaisir.

    On retrouve le père Kern qui, dans le premier tome, officiait à Notre-Dame. Ce temps-là est révolu. Il n'est pas au mieux de sa forme, ni physiquement, ni moralement. Quand on repêche le cadavre de Mouss, SDF qui a investi Notre-Dame il y a peu, le juge Claire Kauffman l'oblige à sortir de sa tanière.

    Il est toujours difficile de rendre hommage à un roman qu'on sent parfait. Car pour moi, il n'y a pas une fausse note ici. Alexis Ragougneau revisite Victor Hugo à sa manière, parce qu'il y a du Victor Hugo moderne dans la description de sa galerie de personnages peuplée de ceux que la vie a maltraités :
    Il voyait les grosses larmes perler sur les pommettes de Kristof puis disparaître dans sa barbe épaisse parfumée à la bière Leader Price. Les gouttelettes, curieusement, ressortaient au niveau du menton après s'être frayé un chemin dans la forêt de poils roux et blonds, au bout duquel elles restaient un instant suspendues.

    L'autre grand thème de ce roman, c'est le jeu sur les robes noires : la soutane contre la robe d'avocat, la justice divine contre celles des hommes, la critique de la soutane capable de regarder des enfants s'en prendre à un autre sans lever le petit doigt, l'impuissance de la robe d'avocat. Et ce thème est traité avec brio jusqu'à l'excellente chute, ou plutôt aux excellentes chutes. L'auteur ne se contente pas de revisiter Victor Hugo, il revisite la période de Pâques avec tout autant de talent. L'écriture est finement ciselée, ce n'est pas un roman qu'on engloutit, on le déguste, phrase après phrase. Et cerise sur le gâteau, on peut s'attacher au père Kern ou à Claire Kauffman qui a quelques points communs avec moi, dont celui de boire du chocolat chaud le matin, "comme une fillette". Et parfois, il nous arrive de sourire. Alors une fois ou deux, je me suis dit: "Ben tiens, voyons" comme dans "Ben tiens, voyons, Claire est une femme forte, elle résiste aux avances du jeune policier, donc bien sûr, elle est lesbienne". Mais finalement, comme Alexis Ragougneau n'en fait pas une caricature de lesbienne, pourquoi pas? Alexis Ragougneau utilise les doubles pour mieux les opposer et c'est un jeu qui chez lui, varie à l'infini: la lesbienne qui combat la testostérone à tout prix et celle qui n'a pas besoin de ce combat-là, la soutane des extrémistes et le petit prêtre qui n'a pas besoin de sortir "déguisé", le frère blond et le frère brun, le révolté et le soit-disant sage, Judas et Saint Simon.

    Je m'emballe mais je vous assure que ce roman est un très grand roman. Pour moi, il est de la trempe des meilleurs Indridason, un peu un pendant français à Etranges Rivages, mon préféré de cet auteur islandais, non dans le thème mais dans le style. Et deuxième cerise sur le gâteau (c'est un roman avec beaucoup de cerises), la résolution de l'intrigue est du grand art et n'est en rien annexe au propos qui n'est pas novateur, ça je vous l'accorde mais l'intérêt de ce roman est ailleurs.