Les trois soeurs qui faisaient danser les exilés
EAN13
9791031201894
Éditeur
Ateliers Henry Dougier
Date de publication
Collection
Littérature
Langue
français
Langue d'origine
français
Fiches UNIMARC
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Les trois soeurs qui faisaient danser les exilés

Ateliers Henry Dougier

Littérature

Livre numérique

  • Aide EAN13 : 9791031201894
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Quand on achète une vieille maison, on acquiert aussi un peu de son histoire,
de celle des gens qui l'ont habitée, surtout si on y découvre de vielles
photos, des souvenirs cachés, de vieux cahiers, autant de jalons, de bribes de
souvenirs laissés par les anciens occupants. C'est ce qui arrive à Gabriele,
la quarantaine, fraîchement divorcé, fils de pauvres immigrés italiens des
Pouilles, qui vient de faire l'acquisition, un peu par hasard d'une vieille
bâtisse où il vit seul, à Cerbère, cette ville coincée entre la mer et la
montagne, à la frontière espagnole. On appelle cette maison rose " La maison
des Fleurs " parce ses dernières habitantes, trois sœurs espagnoles bien
différentes les unes des autres, parties depuis longtemps, s'appelaient
Bégonia, Rosa et Flora et y vivaient avec leur père Diego Sevilla, un artiste
peintre. Après leur défaite en 1939, les républicains, fuyant à pied le
franquisme, y ont été accueillis, une façon pour elles de gommer la
culpabilité d'avoir été épargnées par cette guerre fratricide et meurtrière,
alors que la France, " pays des droits de l'homme ", les recevait si mal.
Gabriele retrouve des clichés, des lettres, des carnets, des traces de cette
période de la " Retirada ", rédigés par Flora, l'aînée, qui témoignent de la
détresse, du désespoir de ces pauvres gens qui ont tout abandonné, un peu
comme ses parents partis des Pouilles. C'est comme un livre de bord qui
témoigne de l'histoire de Clara, d'Alfredo, Eleidora, Raoul, Pedro qui ont
passé ici quelques jours, cachés, pour repartir ensuite dans des camps
indignes de la France, " les camps de la honte " a-t-on pu dire, avec la
misère et la mort ou vers un autre destin d'exilés. Ils ont marqué leur
passage dans cette maison et les " Fleurs " en ont gardé la mémoire. Plus
tard, après la déclaration de guerre, ce seront des juifs en fuite, les
maquisards et la Résistance, malgré les Allemands et l'Occupation, (plus tard
des rapatriés d'Algérie s'y retrouveront) et toujours cette chronique en
pointillés, entre témoignages, confidences et non-dits. Bien sûr, au cours de
cette période troublée, les " Fleurs " ont connu l'amour, la peur, la cruauté,
la trahison, le désespoir, la honte, le deuil, la lâcheté, la solitude et
finalement ont quitté chacune leur tour cette bâtisse, son histoire, ses
fantômes pour un ailleurs... Grace à ces vies qu'il a connues, en quelque
sorte, par effraction, Gabriele s'est retrouvé lui-même à travers les carnets
de sa mère qu'il n'avait pas pu lire auparavant .

Plus qu'un roman, c'est une évocation de cette période qui a déchiré l'Espagne
et qui s'est prolongée par une dictature de quarante années, privant pour
longtemps les républicains de leur pays, les contraignant à s'établir ailleurs
où ils n'ont été que des étrangers, condamnés plus que les autres à réussir
leur vie en oubliant leur langue et leurs racines pour s'intégrer à leur
nouvelle patrie. Cette obligation d'exil rejoint, mais dans un autre contexte,
celle des parents de Gabriele qui eux aussi ont été des " ritals " à leur
arrivée en France, un peu trop vite qualifiée de " pays de la liberté ". Cet
ouvrage est d'une brûlante actualité quand les immigrés frappent encore
aujourd'hui à nos portes.

C'est une réflexion sur la mémoire, sur la vie de ces trois femmes qui ont vu
dans cette maison se dérouler sous leurs yeux une page d'histoire, une
réflexion sur la manière dont on mène sa propre vie, à la recherche légitime
du bonheur, concept un peu vague construit intimement à coups de certitudes
personnelles, de rêves de jeunesse, d'espoirs et d'illusions, qui peut être un
rendez-vous manqué sans qu'on n'y puisse rien parce que des événements
extérieurs ou simplement les autres sont venus bousculer cette quête et en ont
fait une impossibilité définitive, douloureusement frustrante. Flora, l'auteur
de ces carnets fait en quelque sorte le bilan de leurs vies aussi contrastées
qu'elles ont été différentes et cela consacre l'effet cathartique de
l'écriture, des mots écrits qui conservent la mémoire, qu'on ne garde plus
pour soi et qu'on confie au fragile support du papier pour exorciser sa
souffrance intime.

C'est un témoignage poignant fort bien écrit avec des descriptions poétiques
somptueuses. Cela fut pour moi un bon moment de lecture et un réel plaisir.
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