Ton 8 mai 1945 et le mien, deux adolescents en 1945 : l’un qui écrira Nedjma, l’autre qui ne parlera pas du Struthof
EAN13
9782814500440
Éditeur
PublieNet
Date de publication
Collection
Temps Réel
Langue
français
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Ton 8 mai 1945 et le mien

deux adolescents en 1945 : l’un qui écrira Nedjma, l’autre qui ne parlera pas du Struthof

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Ce texte est né d’une collision.

L’écrivain Sadek Aïssat m’avait demandé de lire Nedjma et d’écrire sur le
personnage de la française. Il préparait alors un recueil sur Kateb Yacine à
paraître en Algérie. Yacine avait signé là, en 1954, son premier livre dans la
langue du loup tout entier construit autour de cet événement qui détermina sa
vie : le 8 mai 1945, jeune homme au milieu des manifestations à Sétif, il vit
les hommes tomber sous les balles pour avoir osé crier « Vive l’Algérie libre
!». . L’armée française réprimait ainsi les désirs d’indépendance de ceux qui,
hier encore, combattaient avec eux sous le même drapeau. Agé d’à peine 16 ans,
Yacine fut arrêté, passa deux mois en prison et sa mère devint folle.

Au moment où je découvrais ce livre, c’est à dire ce pays, mon père se
réveillait d’une hémorragie cérébrale, paralysé mais vivant. Dans les mois qui
suivirent cette traversée du coma, il rompit des années de silence et parla de
son enfance pendant la guerre. Il me raconta comment son père l’emmenait voir
le Struthof, un camp de concentration situé de l’autre côté de la vallée : ils
arrivaient en voiture la nuit à un certain point d’où ils pouvaient voir le
camp éclairé, restaient là, sans prononcer aucune parole et s’en allaient. A
la Libération, passager clandestin du petit bus de la commission d’enquête, il
découvrit ce qu’on imagine. L’ancienne salle de bal transformée en chambre à
gaz avait servi à des médecins nazis aux plus folles expérimentations. De
cette vision, il n’avait jamais parlé. Le seul épisode connu du passé était le
séjour du général De Gaulle dans la maison familiale les neuf premiers mois de
la guerre jusqu’à son départ pour Londres en juin 1940.

Le 8 mai 1945, les deux adolescents avaient à peu de chose près le même âge.

Pourquoi l’un a-t-il écrit et l’autre n’a-t-il pu que se taire ?

Pourquoi l’un est-il écrivain et l’autre est-il mon père ?

Penser cet événement à travers cette date – la capitulation de l’Allemagne-
qui sera aussi d’une certaine manière celle de l’origine de la guerre
d’Algérie, c’était réfléchir à « d’où nous ~~~~venons, de quelle Histoire ».
Si la France pu se penser victime du nazisme, elle était précisément, à
travers son comportement à Sétif du côté des agresseurs. J’avais jusqu’alors
assimilé cette date à la victoire des Alliés sur le nazisme, mais en fait elle
nous laissait tous perdants. Un personnage, un militaire, De Gaulle, faisait
le lien entre les deux, jouant un rôle dans les deux histoires.

Il y a ce dont je suis l’héritière, qui me regarde donc, et la rencontre avec
Saddek qui m’a donné les clefs d’une autre histoire, d’un autre pays, d’une
autre ascendance que j’ai faite mienne. Il y a le père dont on naît et les
pères qu’on se choisit.

La narratrice dans le texte demande si Yacine a écrit pour voir, pour voir ce
que ses yeux n’arrivaient pas à voir. Sad lui répond que c’est surtout pour ne
pas devenir fou. Certaines images nous hantent au point qu’il nous faut les
projeter hors de nous, les dire, les décrire. Ecrire pour voir ou ne pas
devenir fou.

Isabelle Rèbre

Un parallèle : la guerre, deux adolescents, deux visions, puis deux destins.
Et notre histoire, à nous de la constuire au milieu.

Voilà un texte qui aborde de front la fracture symbolique que reste la guerre
d’Algérie, et tant de silence encore de notre côté, tant de non dit et de
secret, de Charonne à Sétif. On sait comme tout cela résonne dans
l’inconscient d’aujourd’hui, et tant d’enjeux en partage.

Et c’est aussi l’histoire de tant de croisements dans la langue. Ici
s'opposent le camp du Struthof, les hommes des villages des Vosges incorporés
dans la Wehmarcht, et symétriquement, côté Sétif, le bombardement du 8 mai
1945 et l'immense Nedjma de Kateb Yacine.

Il faut, à nous tous, des écritures qui aillent à cet endroit-là, en brassent
la matière, le vocabulaire, les visages, fassent lien de l’histoire à nos
mots, nos corps.

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