Le maître de café

Olivier Bleys

Albin Michel

  • Conseillé par
    16 avril 2013

    Ils sont venus, ils sont tous là
    Dès qu'ils ont entendu ce cri
    Il va mourir le papa
    Ils sont venus, ils sont tous là
    Même ceux du nord de l'Italie
    Y a même Roméo le gendre imprimeur
    Au volant de sa toute nouvelle Cadillac El Dorado

    Tous ses enfants, sa bru, son gendre
    sa soeur, son associé
    Autour du lit, sur des chaises bien alignées
    Attendent plus ou moins en silence
    Qu'il reprenne connaissance
    Le papa

    On évite de le toucher
    On évite de le regarder
    On se demande qui va hériter
    Il va mourir le papa

    Mais point ici de vin nouveau, de bon vin de la bonne treille mais plutôt de café, celui qui coule chaud et brillant de la Storta, l'antique et monumental percolateur crée par Massimo Pietrangeli, le maître torréfacteur terrassé par une crise cardiaque, en ce mois de juillet 1954.
    A 71 ans, le vieil homme, qui tous les matins sert son café au chef de l'Etat, est revenu en ambulance à la Villa Girasole qu'il partage avec son fils aîné Oreste et sa bru Erminia. Pendant que le conseil de famille en est encore à réfléchir à une éventuelle hospitalisation, le maître de café sort de son coma, grâce à l'arôme d'un café, avec une idée bien arrêtée : partir avec toute sa famille à l'endroit où poussent les plants de café incomparables dont il conserve les précieux grains dans sa non moins précieuse cassette. D'abord circonspecte, la famille finit par se laisser convaincre par l'entêtement du patriarche, et c'est un convoi extravagant qui quitte Rome pour un long périple vers le Costa Rica.

    Le maître de café est une joyeuse comédie familiale à l'italienne. Mais les situations burlesques ne font pas oublier les moments plus touchants où un homme qui a vécu par et pour son métier, devient sur le tard le père que ses enfants ont finalement peu connu. Pour son dernier voyage, Massimo Pietrangeli a décidé de lever le voile sur sa vie et ses secrets les plus intimes. En se confiant, il crée un lien entre ses proches et peu à peu, cette bande, qui au départ n'avait d'intérêt que pour sa fortune et n'affichait qu'un chagrin de façade, va véritablement s'attacher au vieillard excentrique blessé par la vie.
    Du rire, des larmes et, en prime, tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le café sans jamais oser le demander, des plantations du Costa Rica à la coulée brûlante du nectar, en passant par la torréfaction et les mélanges de grains. Et en plus, c'est très bien écrit, ce qui ne gâche rien.


  • Conseillé par
    11 janvier 2013

    Le café est le personnage principal de ce roman. Pour moi qui lis préféremment assis -ou semi-allongé- sur le canapé du salon, ma tasse de café pas loin histoire de lamper une ou deux gorgées entre deux paragraphes, c'est le roman idoine. Sauf que Olivier Bleys est tellement bien documenté et précis que mon breuvage habituel a un goût amer. Il nous décrit tellement bien la torréfaction, l'écoulement du liquide dans les tasses que j'aimerais bien goûter à l'un des cafés du maître Pietrangeli.

    J'en ai eu l'eau à la bouche pendant toute ma lecture ! Et pourtant, ce n'est pas gagné au départ : "Prises telles quelles, sur la branche, les cerises de café n'ont rien à offrir : ni le goût, très amer ; ni l'aspect, celui d'une baie vénéneuse comme en portent tant de buissons. C'est à se demander quelle inspiration l'homme a eue de les boire." (p.333/334)
    Les autres personnages sont tous les membres de la famille Pietrangelo, Massimo en tête, Massimo qui subit une attaque : "Maintenant, il gisait là, les jambes réunies sous un simple drap, les bras dans l'alignement du buste, la tête dépassant seule d'une couverture tirée jusqu'aux épaules, et de si peu de poids, sur l'oreiller taché de sueur, qu'à peine elle y creusait sa forme ronde. Le maître de café n'avait plus sa connaissance et rien qu'une apparence de vie qui tenait tout entière dans une petite veine bleue palpitant à son poignet. Il fallait venir tout contre ses lèvres pour sentir un frisson tiède, dernier vestige de la respiration." (p.29). Au cours de leur voyage, Massimo, d'habitude peu enclin aux confidences, va s'ouvrir de plus en plus, se livrer, à sa fille romancière, Chiara. Les liens qui s'étaient distendus entre tous se resserrent un peu. Mon petit bémol viendrait peut-être des seconds rôles tenus par les enfants Pietrangeli qui écoutent et subissent leur père et dont on n'apprendra rien ou très peu. Eux, restent assez effacés face à cette grande figure du maître Massimo. Un parti pris respectable d'Olivier Bleys qui centre son histoire sur Massimo et son rapport au café. Et puis tout est pardonné à un auteur qui écrit aussi bien. L'art de faire de belles phrases, de changer parfois tout simplement la place d'un mot pour que la phrase entière sonne mieux.
    Un roman qui commence assez lentement comme un café allongé -mais toujours au graines choisies- avec un rien d'ironie, d'humour qui égaye la lecture, puis qui se met de plus en plus à ressembler à un ristretto -pas celui de M. Clooney, non, un vrai celui de Massimo Pietrangelo !- parsemé de grosses touches de burlesque (la description du convoi familial est très visuelle et drôle), de délicatesse, de tendresse et d'amour.
    Vous en prendrez bien une tasse ?

    PS : Olivier Bleys a écrit plusieurs romans mais je n'en ai lu qu'un autre de lui qui m'a laissé un excellent souvenir : Le colonel désaccordé. Si un voyage au Brésil d'il y a deux cents ans vous intéresse, n'hésitez pas.